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Avion militaire abattu à Belgorod : erreur de l'Ukraine ou manipulation de la Russie ?

Publié le 25 janvier 2024 à 19h30, mis à jour le 26 janvier 2024 à 9h23

Source : TF1 Info

Un avion a été abattu ce mercredi matin au-dessus de Belgorod, en Russie.
Moscou accuse Kiev d'être à l'origine du crash de cet avion et de ses "65 prisonniers de guerre".
À l'heure actuelle, aucun élément ne permet de confirmer la version russe.

Chaque camp demande des investigations, pourtant chacun y va déjà de sa version. Ce mercredi 24 janvier, Moscou a affirmé que Kiev avait abattu un avion militaire au-dessus de la région frontalière de Belgorod. Selon la Russie, l'engin transportait à son bord un équipage russe et des prisonniers de guerre ukrainiens. Une accusation contestée par Kiev. 

Le soir-même, Volodymyr Zelensky a accusé Moscou de "jouer" avec la vie de prisonniers de guerre. Mais qui croire ? Et que sait-on pour l'heure ? On fait le point sur les explications d'une part et d'autre.

Ce que l'on sait à ce stade

Commençons par ce que l'on sait avec certitude. Le matin du 24 janvier, des images prises à Belgorod commencent à émerger. Elles montrent un engin tomber du ciel avant de s'écraser dans un paysage enneigé. Les vidéos de l'incident permettent d'en connaitre la géolocalisation précise. 

Celle disponible en tête de cet article a en effet été captée dans la localité de Yablonovo, comme le prouvent les images ci-dessous. On reconnaît très clairement l'intersection et le bâtiment bleu circulaire au premier plan. Au second plan, on aperçoit une église ainsi que sa flèche. Il s'agit de l'église de Yablonovo, d'après les clichés disponibles sur Google Maps et Yandex Maps, son équivalent russe. Ce qui permet d'affirmer avec certitude que la boule de feu qui apparaît au loin se situe dans un champ du district de Korochansky, à plus de six kilomètres du lieu de prise de vue. 

La localisation situe la vidéo dans le village de Yablonovo, dans la région de Belgorod
La localisation situe la vidéo dans le village de Yablonovo, dans la région de Belgorod - Captures d'écran

Quant à savoir si l'avion a été abattu, nous avons analysé les clichés de la carcasse rapidement apparus sur des canaux Telegram pro-russes. Nous en avons vérifié l'authenticité grâce à leur géolocalisation et aux indices visuels sur l'avion militaire, un Iliouchine Il-76. Le fuselage présente des trous caractéristiques d'un missile anti-aérien, dont la particularité est d'exploser à proximité de l'aéronef pour le disloquer. 

Qui a abattu l'avion ?

Un avion militaire russe a donc bien été abattu dans le ciel de Belgorod. Mais par qui ? C'est là que les versions s'opposent. Dans la matinée, le ministère de la Défense accuse Kiev d'être derrière cette attaque. Sur Telegram, il indique que des "équipements ont enregistré le lancement de deux missiles fabriqués par l'Otan en direction du village de Liptsy, dans la région de Kharkiv".  

La zone à partir de laquelle la frappe aurait été lancée se situerait à plus de 133 km de la zone du crash. Une distance à portée des missiles Patriot. Si ce système américain ultra-performant est habituellement fixé près des villes, l'armée ukrainienne l'a déjà déplacé au plus près de la ligne de front afin de tendre des embuscades aux avions militaires russes. C'est d'ailleurs grâce à cette stratégie qu'un précieux Beriev A-50 a été détruit le 15 janvier. Pour l'heure, la Russie n'a toutefois amené aucune preuve technique de cette affirmation. 

Une version qui n'a jamais été confirmée par Kiev, contrairement à ce qu'assurent plusieurs chaînes Telegram russes. Dans la matinée, le journal en ligne Ukrayinska Pravda a effectivement rapporté qu'un avion russe avait été abattu par des artilleurs ukrainiens au-dessus de Belgorod. Citant une source "des forces armées ukrainiennes", le quotidien ajoutait alors que l'engin "transportait des missiles pour le S-300". Des éléments mis à mal par un démenti de l'Armée. 

Sur ses réseaux sociaux, l'état-major a simplement déclaré que les forces armées ukrainiennes avaient l'intention de "prendre des mesures pour détruire les véhicules de livraison et contrôler l'espace aérien afin de détruire la menace, y compris dans la direction Belgorod-Kharkov". 

Qui était à bord de l'appareil ?

Et c'est là le deuxième enjeu : qui était à bord de cet avion ? Quelques heures après le crash, le ministère russe de la Défense a déclaré qu'il y avait 65 prisonniers, six membres d'équipage et trois accompagnateurs à bord de l'Il-76. Le problème, c'est que, là encore, aucune preuve concrète ne vient corroborer cette affirmation. Ainsi, le seul document pouvant en attester est une liste de nom. 

Diffusée par Margarita Simonyan, rédactrice en chef de Russia Today et figure centrale de la propagande du Kremlin, celle-ci révèlerait l'identité de chaque prisonnier qui devait être échangé. Or, au moins l'un des noms, à savoir Maxim Anatolievich Konovalenko, figurait déjà sur le relevé du 3 janvier. Il a d'ailleurs lui-même décrit l'information russe comme "un mensonge à 100%" sur ses réseaux sociaux

Du côté de l'Ukraine, on confirme qu'un "processus d'échange de prisonniers" était bien prévu pour la journée du 24 janvier, mais que l'armée n'en connaissait pas les modalités. Dans un rapport sur la question, la Direction nationale des enquêtes précise que la Russie n'avait pas averti Kiev de la livraison des prisonniers par avion et n'avait pas du tout informé du "nombre de véhicules, des itinéraires et des méthodes de livraison des prisonniers". "La partie ukrainienne n'a pas été informée de la nécessité d'assurer la sécurité de l'espace aérien dans la région de Belgorod pendant une certaine période, comme cela a été fait à plusieurs reprises dans le passé", ajoute la direction nationale dans son texte.

Par ailleurs, les photos et les vidéos du Il-76 montrent bien des victimes, floutées. Mais seuls trois corps peuvent être distingués. Aucun cliché ne permet d'en identifier des dizaines. Or, si Moscou détenait des preuves de cette hécatombe, il serait dans son intérêt de les montrer. "Si les Russes avaient des photos ou des vidéos avec nos prisonniers de guerre, ils les auraient déjà publiées", a ainsi argumenté Dmytro Lubinets, le commissaire aux droits humains ukrainien. "Aucun élément n'indique qu'il y avait un si grand nombre de personnes dans l'avion." D'autant plus que d'après les renseignements ukrainiens, seuls cinq corps ont été livrés à la morgue de Belgorod après le crash.

À l'heure actuelle, nous pouvons confirmer qu'un avion militaire russe a été abattu dans un champ du district de Korochansk, une localité à portée des missiles ukrainiens. Toutefois, aucune preuve ne permet de savoir qui est à l'origine de l'opération. On ne sait pas non plus qui était à bord de l'avion et s'il transportait des passagers ou des munitions. 

Tous les scénarios restent donc envisageables. Il est plausible que l'armée ukrainienne ait réalisée le tir. Tout comme il reste possible que la Russie, pour tenter de sauver la face après la perte de cet avion, ait inventé ce scénario pour accuser l'Ukraine. Ni Moscou ni Kiev n'ont fourni de données fiables ou officielles pour étayer leur version.

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Felicia SIDERIS

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